Je déterre ce blog, sans y parler du sujet principal de celui ci... pourtant j'aurai beaucoup de choses à dire. Beaucoup, beaucoup de choses se sont passées depuis le dernier billet. Des choses difficiles, tellement qu'en temps voulu ça aurait été difficile d'en parler. Ça viendra j'espère, je m'efforcerai de trouver le temps !
Un article donc "hors sujet", faisant suite à une formation toute fraîche à l'information des femmes désirant une Interruption Volontaire de Grossesse (IVG), et la pratique de l'IVG médicamenteuse par les sages-femmes et médecins hors établissement. Faisant suite surtout à
de nombreux tweets révoltés contre un détail de la manière dont celle ci est pratiquée (l'utilisation répandue de Cytotec).
La violence du débat me fait principalement redouter le fait que des femmes se croient en danger en faisant la démarche d'une IVG médicamenteuse. C'est ce qui me pousse à tenter d’apaiser le débat : au moins pour rassurer ces femmes.
Je vous encourage tous en préambule à lire la dernière version du dossier-guide édité par le Ministère de la Santé :
Guide validé par les instances gouvernementales et réévalué maintenant presque chaque année, dernière version mars 2017. Il contient à peu près tout ce qu'il faut savoir sur l'IVG, et légalement il doit être remis à toute femme "intéressée" par l'IVG. Et croyez moi c'est loin d'être superflu, j'encourage tout soignant concerné à demander à vos ARS de vous les fournir et le lire au moins une fois.
Et je pense inopportun de tenter de débattre sur les modalités d'une IVG en France sans avoir au moins lu ce guide dans son intégralité.
Avant toute chose, je tiens à déclarer que je suis très loin d'être un expert sur le sujet. Mais il m'a semblé utile de me former car l'IVG dans de "bonnes" conditions reste un combat permanent. Et que de discuter de ce sujet ici pouvait être utile, même avec mon défaut d'expertise. Si besoin j'éditerai ce billet au gré des expertises que vos commentaires amèneront.
Je tente pour commencer un bref rappel historique de l'avènement de l'IVG notamment médicamenteuse au niveau national et international :
Vos grands-mères et arrière grands-mères se rappellent d'un temps ou en France se pratiquaient des IVG "clandestines" (ce n'était pas encore légal), et à l'époque beaucoup de femmes souffraient voir mourraient quand, ne pouvant assumer une grossesse non désirée, elle tentaient d'y mettre fin par de dangereux moyens.
L'historique national sur le plan légal est bien rappelé p37 de ce guide, en gros à partir de 1975 et la loi Veil, l'IVG est devenue légale.
D'abord pratiquée chirurgicalement, les techniques ont évoluées, et sont devenues de moins en moins source de souffrance (antalgie, IVG par aspiration, IVG médicamenteuse par anti-progestérone + prostaglandine).
A ce jour, dans certains "pays du sud" (exemple le Brésil), la pratique de l'IVG, qu'elle soit médicamenteuse ou chirurgicale, est encore interdite. Je n'ai pas les détails exacts de ce que je vais dire, je me base sur les souvenirs de ce qu'à raconté une intervenante, je suis preneur de documentation sur ce sujet :
Au Brésil,
la morbi-mortalité par IVG clandestine a fortement diminuée quand les femmes on compris qu'elles pouvaient facilement se fournir des analogues des prostaglandines disponibles pour traiter des problèmes gastriques : le Misoprostol (en France connu sous le nom du Cytotec, cp de 200 µg). Ça n'est pas recommandable car pas confortable et risqué de faire ça sans aide et sans anti-progestérone associé, mais c'est infiniment moins risqué que par exemple de se mettre des bouts de métal dans l'utérus.
Cette découverte "clandestine" a d'ailleurs permis une amélioration du confort des processus d'IVG médicamenteuse pré-existant : auparavant les analogues des prostaglandines étaient des produits pas très pratiques et mal tolérés, injectables.
Cette amélioration a donc été adopté, et à conduit à des études par l'industrie pharmaceutique pour confirmer que ces médicaments existants et bien connu étaient tout à fait adapté.
Qui dit étude, dit recherche de rémunération par l'industrie pharmaceutique, cela s'entend parfaitement. Mais une parenthèse au passage : les femmes qui ont expérimenté cette découverte clandestine à leurs risques et péril n'ont pas a ma connaissance été remerciées officiellement ni rémunérées, elles.
Ça a conduit en France à avoir exactement le même médicament (Misoprostol 200 µg en comprimé) à être remboursé au praticien pratiquant l'IVG en une boite de 2 cp (Gymiso), vs le Cytotec existant en boites de 60 cp pour beaucoup moins cher.
Le soignant pratiquant l'IVG utilisant le Cytotec économiserait 15€ "sur le dos de la sécu" qui le rémunère pour se fournir une boite de Misoprostol "autorisée".
Le débat questionne un peu sur la rémunération des soignants, mais surtout sur leur responsabilité et celle des sociétés savantes, vs les pharmaciens, l'Assurance Maladie et l'industrie pharmaceutique.
Ce débat, je n'ai pas la prétention de pouvoir le trancher, même si ça me choque un peu que l'assurance maladie cautionne un prix si haut pour un médicament existant déjà, parfaitement connu, n'apportant pas de progrès par rapport à un autre existant déjà, identique.
PS : ajout à l'article de l'explication donné par le président de la firme commercialisant le Gymiso, sur la "justification" selon lui de ce prix. Intéressant, en prenant en compte quand même le fait qu'il a un conflit d'intérêt notable à la défense de son médicament.
Par contre
je souhaiterai (m')assurer que la patiente surtout, mais aussi le pharmacien et le soignant ne soient pas pris en otage ni mise en danger dans ce débat.
En théorie et en pratique, comment ça se passe niveau médicament une IVG médicamenteuse :
La théorie, dans les textes :
lire p13 du
guide + l'annexe 3 p30 :
- une première prise : le Mifépristone, un anti-progestérone qui décolle l’œuf et prépare l'expulsion (80% du travail)
- une deuxième prise : le Misoprostol, analogue des prostaglandine, qui permet principalement d'expulser.
A noter que le guide, support d'information écrite que je rappelle obligatoire et édité par le ministère de la santé, parle en DCI et non en nom commercial.
Remarques sur les
AMM (et donc les
notices, basées sur les
RCP actualisées,
pour info celles du Gymiso disponibles "actualisée" librement sur le site de l'ANSM) des médicaments, et leurs contradictions avec les
recommandations, notamment celles du
Collège Nationnal des Gynéco-Obstétriciens de France <ICI> p 577 notamment :
- La mifépristone est indiquée à 600 mg, alors que les sociétés savantes recommandent maintenant 200 mg (même efficacité, grade A). Un seul médicament existe en France, Mifégyne en boite de 3 cp x 200 mg.
La notice est donc inadaptée à la pratique des soignants, qui ne travaillent donc pas en conformité à l'AMM, "économisent 2 boites sur le dos de la sécu" en n'en administrant qu'un seul. Est ce que ça met en danger la patiente ? Non, peut-être même qu'au contraire, une dose moindre est moins nocive. Comment réagirait une patiente lisant chez elle qu'elle aurait dû en prendre 3 plutôt qu'un ?
- Le misoprostol, dans le Gymiso en 2 cp de 200 µg ou le MisoOne en 1 cp de 400 µg correspond à la posologie utilisée, par contre est mentionnée une limite d'utilisation à 49 jours d'aménorrhée (7 semaines, ça colle à l'autorisation en ambulatoire).
Les praticiens hospitaliers utilisant ce produit officiellement jusqu'à 9 semaines d'aménorrhée à des dosages parfois plus élevés sont donc hors AMM. Doivent-ils pour autant priver les patientes de cette possibilité ? nb : cette remarque ne concerne bien évidemment pas la notice patient, mais est valable pour la RCP.
Est mentionné la prise de ces cp de 36 à 48h après la prise de Mifépristone, là ou les recommandation ne voient pas de différence de 24 à 48h (Grade A). Et le côté pratique (en étant aussi sûr et efficace) pour la patiente qui doit le prendre de 24 à 36h pour des raisons qui lui sont propres, il est où dans l'AMM et la notice ? au passage, même remarque pour le guide, ne proposant qu'à partir de 36h... donc difficile de proposer plus tôt si l'info de référence ne va pas dans ce sens.
Autre point de désaccord des recommandations avec l'AMM : l'utilisation par des voies alternatives à la voie orale : il n'est utilisé en France que par voie orale, or les recommandations évoquent les avantages et inconvénients des prises par voie buccale, sublinguale voire vaginale. Les recommandations inciteraient donc à des modalités de prise hors AMM, même en délivrant la notice française, on n'aiderait donc pas la patiente. Pour info, voici ce qu'en dit la Revue Prescrire dans son numéro d'avril 2017 (récent donc !) :
Bref, peut-on dire que la notice est la seule source valable d'information dans l'intérêt des patientes ?
Pourquoi les laboratoires pharmaceutiques ne profitent pas des sous qu'ils gagnent - en demandant un prix démesuré alors que moins cher existe déjà - pour modifier notices et AMM en fonction de l'état de la science et de l'intérêt des patientes ? Pas si actualisées que ça au final ces RCP et notices...
Pour info, les texte de lois sont représentés par l'
article L2212 du code de la santé publique, et détaillent l'information à donner aux patientes. Sont clairement mentionnés le guide, les grandes lignes incontournables de l'information orale, ne sont pas mentionnées les notices.
Je ne connais pas suffisamment le reste du CSP pour pouvoir dire si je suis hors la lois quand j'administre à un patient un traitement sans lui donner la notice, cependant... Quand on fait une anesthésie locale à la Xylocaïne à un patient qu'on suture, doit-on lui fournir la notice du produit utilisé ? Quand on lui donne du paracétamol immédiatement parce qu'il a mal, doit on donner la notice ?
Sortons des textes pour revenir à la pratique. Le fait que le Misoprostol 200 µg en cp nommé Cytotec soit délivré/administré aux patientes à la place du Misoprostol 200 µg en cp sous le nom de Gymiso, ou du MisoOne 400 µg en cp est un des nœuds du problème dans le débat enflammant actuellement la twittosphère médicale.
Le problème vient du fait que même si un cp de Cytotec est la même chose (peut-être à quelques excipients près) en prise orale qu'un cp de Mifégyne, le Cytotec est "hors AMM", et que la notice du médicament est moins adapté à une IVG que celle des médicament autorisés, malgré toutes les réserves évoquées si dessus.
Le côté "hors AMM" serait particulièrement problématique quand une patiente souhaitant une IVG se verrait remettre une ordonnance d'une boite de 60 cp de Cytotec, c'est vrai : le pharmacien se retrouve dans l'illégalité d'une délivrance hors AMM à sa patiente, la patiente se retrouverait avec une notice inadaptée (car centrée sur l'indication gastrique de ce médicament), et avec théoriquement 58 cp restant pouvant être utilisés dangereusement ("clandestinement" ?).
Il ne faut absolument pas faire comme ça, on est tous d'accord !
Visiblement, vu les retours de plusieurs pharmaciens, ça se fait, et c'est bien dommage, en tout cas parfaitement illégal. Je me joins à eux pour condamner ces pratiques.
Ce qu'on nous apprend en formation :
Ne surtout pas faire ça (pas d'ordonnance à la patiente), mais de faire une ordonnance pour l'usage professionnel du soignant demandant du Misoprostol 200 µg en cp (obligation légale depuis le 1er janvier 2015 de prescrire en DCI, pas d'obligation de prescrire en nom de spécialité). Et il semble plus pratique de demander d'emblée une boite de 60 comprimés.
Pour info, lire ce tweet d'une pharmacienne (Lab Majolaine) pour voir
les conditions requises pour un pharmaciens. Seul point ambigu : "le nom du médicament", ne précisant pas si la DCI et galénique suffisent ou si le nom commercial est imposé.
Ces comprimés sont gardés par le soignant, qui les délivre à la patiente pour qu'elle les prenne soit au cours de la consultation identifiée pour, soit à domicile, ce qui est plus adapté pour ne pas se retrouver potentiellement à avoir mal, vomir et saigner en pleine salle d'attente ou sur le trajet retour.
On n'est donc pas du tout dans le cas où le pharmacien se retrouve dans l'illégalité envers sa patiente, et la patiente avec une boite pleine.
Pour autant
concernant l'illégalité pour le pharmacien liée au Cytotec, le formateur nous a signalé qu'un pharmacien avec qui il travaille comme décrit ci dessus avait subit une remarque décourageante de son pharmacien conseil de la CPAM. Le formateur est donc allé, dans le cadre du Réseaux IVG dont il est membre actif, discuter avec ce pharmacien conseil et les représentants de l'ARS, toute crainte a été dissipée. Bref, faire appel aux Réseaux IVG en cas de problème est une bonne solution en cas de conflits. Nb : réseaux composé de patientes, soignants, assistants sociaux, psychologues...
Et concernant l'information donnée à la patiente :
- Oralement, l'obtention de ces comprimés est précédé d'au moins 2 consultations, au cours desquelles on donne beaucoup d'informations, entre autre sur le sujet de ce médicament, sa prise et ses effets. Ça ne fait pas tout, c'est praticien dépendant, mais je considère quand même qu'on nous forme plutôt bien à ça. Libre à certains de le remettre en cause...
- Mais aussi par écrit : le dossier guide cité en début d'article, qui contient une information je rappelle validée par le ministère de la santé et ré-évaluée annuellement. Qui me semble claire. Et qui, je l'espère, a fait l'objet de concertation auprès des patientes, depuis des années qu'il est édité et régulièrement révisé.
- Enfin, il nous est demandé d'être disponible/joignable, pour/par la patiente prenant ces médicaments. En pratique ce qu'on nous recommande est de laisser notre numéro de téléphone portable. C'est pas rien ! Si elle ne veulent/peuvent pas nous joindre nous, elle peuvent à tout moment prendre contact avec l'établissement avec qui on a signé la convention, censé pouvoir répondre 24h/24 en cas de complication.
Serait-il indispensable en plus de tout ça de disposer de la notice d'un médicament officiellement autorisée dans ce cas, malgré toutes les réserves que j'ai évoqué plus haut ? Si on me le prouve je suis prêt à ré-évaluer ce que sera ma pratique dès que j'aurais l'agrément.
Pour conclure, je dirais que le problèmes dans ce débat reposent principalement sur des considérations économiques (prix des médicaments, voire rémunération des soignant), et peut-être légale (je serai preneur de l'avis d'un juriste pour trancher).
Mais
j'espère vraiment que mes remarques viendront dissiper les points de tension entre médecins/sages-femmes et pharmaciens, surtout afin que les patientes ne craignent pas que ce débat les mette en danger.
Et
que les soignants voulant se lancer dans les déjà assez difficiles démarches nécessaires à se lancer dans l'IVG ne se découragent pas devant la violence des propos tenus sur Twitter, alors que plus de 130 centres d'IVG ont fermés ces derniers temps... n'en rajoutant pas en étant procéduriers, l'IVG a déjà bien assez de détracteurs comme ça.
Pour info, je rappelle que provoquer le doute sur la dangerosité de l'IVG est depuis peu puni par la loi, reconnu comme un "délit d'entrave à l'IVG" (information vulgarisée
ici sur Le Monde).
Je laisse ouvert les commentaires sur cet article, dans la mesure où ils ne me semblent pas constituer un délit d'entrave à l'IVG.
Au dela de la méchante loi, j'incite à bien lire le guide officiel et l'article de Prescrire pour se persuader de l'efficacité et l’innocuité de l'IVG médicamenteuse telle qu'elle est actuellement pratiquée.
Merci à ceux qui auront pris la peine de lire !
Pour les patientes.
PS : je vous encourage fortement à lire les 4 premiers commentaires, poursuivant la réflexion, complétant bien mon article. En allant plutôt dans le sens d'une utilisation vraiment respectueuse de l'AMM.